NOTRE MERE LA GUERRE, Première complainte, de Maël et Kris, Futuropolis, septembre 2009
Première complainte
de MAEL et KRIS
Les grandes lignes
En août 1914, quelque chose a irrémédiablement changé dans la vie de Roland Vialatte, si bien qu'au soir de sa vie, en 1935, il confie au prêtre venu à son chevet qu'il ne peut pas entendre le son des cloches comme un bruit familier: elles restent pour toujours à ses oreilles l'appel à la guerre.
Au combat. Comme si la guerre ne faisait pas assez de morts, voici qu'un tueur assassine des femmes sur la ligne de front. Parce qu'il est gendarme chevronné, le lieutenant Roland Vialatte est diligenté pour mener l'enquête, mais le premier obstacle qu'il rencontre est la méfiance des poilus qui voient en lui un militaire, mais pas un soldat.
Pourtant, dans sa tête, le lieutenant est loin d'être un planqué, et il fait tout pour aller en première ligne enquêter parce que le feu l'attire, parce que ses lectures de Péguy et de Hugo lui ont donné une vision lyrique et héroïque du combat.
Mais là, sous le feu sporadique de l'ennemi, sous les invectives et les rodomontades, le souffle épique s'amenuise pour laisser la place à la peur panique, au ridicule d'une fusillade inutile, à la ladrerie et aux rapines, et les héros ne sont plus que des enfants perdus, accrochés à une ritournelle, appelant leur mère dans un champ de ruines.
"Les faits n'ont pas de taille absolue."(Paul VEYNE)
Vous apprécierez à coup sûr l'intelligence du scénario de KRIS qui, mêlant étroitement faits réels et intrigue fictionnelle, rappelle que les remous planétaires impliquent toujours des individus, et que ce qu'on appelle l'Histoire n'est possible qu'à travers des traces, des documents, des témoignages inépuisables.
Loin de nous inviter à la commémoration d'un moment absolu d'une histoire nationale, l'album est une pièce au dossier, un dossier ouvert car pour l'historien il n'y a pas de vérités premières pour des événements en soi impliquant l'Homme universel. Il y a du non-événementiel qui pour autant n'est pas insignifiant au regard de l'histoire, et l'on ne peut rejeter dans l'anecdotique ce qui, étant du quotidien, ne serait pas à l'échelle d'une bataille.
Vous apprécierez également l'écriture qui joue sur tous les registres, et plus particulièrement au deuxième degré sur le lyrisme complaisant de Roland.
A écriture subtile, dessinateur subtil.
Maël, c'est tout sauf l'effet: pas de poudre aux yeux, même dans le fracas d'une explosion, même dans la pénombre d'un cloaque.
Regardez les planches 35 (page 37) à 38 (page 40).
Regardez la maîtrise avec laquelle le feu des canons qui attire Roland comme un miroir aux alouettes vient progressivement ne plus rougir que les arrière-plans, puis les silhouettes accablées, avant qu'une dernière lueur ne laisse la place à la grisaille d'une atmosphère fuligineuse où se dilue l'enthousiasme du lieutenant.
Regardez sortir une personnalité d'un regard, d'une bouche pincée, d'une tête inclinée.
L'histoire de la Grande Guerre est loin d'être close: le deuxième tome y contribuera encore.
Vous pouvez voir les premières planches de l'album sur des sites dédiés.